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La crise pousse l'Europe sur le terrain de la coopération à tout petits pas

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Les 28 chefs d’État et de gouvernements de l'Union européenne se sont réunis les 19 et 20 décembre derniers pour discuter de l'épineuse question de la défense européenne. C'est la première fois depuis le début de la crise, mais aussi depuis l'adoption du Traité de Lisbonne, qu'un sommet européen est dédié à cette question. Sans surprise, les conclusions sont loin d'être ambitieuses et bien éloignées d'une défense purement européenne. S'il est bien une prérogative que les États membres ne sont pas prêts à abandonner au joug communautaire, c'est la défense. Clé de la souveraineté nationale et symbole de la puissance d'une nation, la défense est et demeurera de compétence nationale.

Dans le même temps, les États y consacrent de moins en moins d'argent. Or, le pouvoir de décider est une coquille vide s'il n'est pas accompagné des moyens suffisants pour agir de manière efficace. La crise a affecté les budgets militaires européens et les phénomènes de repli sur soi n'ont pas épargné le secteur de la défense. Les conséquences sur les capacités de défense européennes se font déjà sentir et, à l'heure actuelle, l'Europe n'est pas en mesure d'assurer sa propre sécurité. On aurait pu croire que la nécessité de faire des économies aurait poussé les États à coopérer plus étroitement en matière de défense, mais les efforts restent limités et empreints des éternelles divergences politiques.

La réduction inéluctable des budgets militaires en Europe

La part des investissements en Recherche et Transfert de technologies (R&T) consacrée à la défense a été divisée par deux dans l'ensemble de l'Union européenne entre 2006 et 2012, soit une diminution de près de 20 milliards d'euros par an alors qu'au même moment, les États-Unis réalisaient un effort de 100 milliards d'euros. L'industrie européenne de la défense accuse le coup à l'instar d'EADS (désormais Airbus Group) dont le plan social annoncé en décembre 2013 devrait aboutir à 5 800 suppressions d'emplois. Le lieutenant général de l'état-major de l'Union européenne Ton Van Osch a mis en garde les décideurs européens contre les conséquences désastreuses des coupes budgétaires militaires : "Pour la protection de notre prospérité et sécurité, il serait désastreux de réduire davantage le budget de la défense. Nous avons déjà dépassé les limites de l'acceptable", a-t-il déclaré le 26 février 2013 devant le Parlement européen.

Depuis le début de la crise en 2008, la plupart des gouvernements européens ne cessent de réduire la part du budget consacrée à la défense et seul le Royaume-Uni consacre plus de 2 % de son PIB aux dépenses militaires comme le préconise l'OTAN. Bien que cette tendance à la baisse s'observe à l'échelle internationale – en 2012, les dépenses militaires mondiales ont reculé pour la première fois depuis 1998 - l'Europe se fait distancer par les États-Unis et la Chine. Au total, l'Europe occidentale dépense 286 milliards de dollars contre 302 milliards de dollars pour l'Asie de l'Est et 682 milliards de dollars rien que pour les États-Unis en 2012.

A l'exception de la Pologne qui a augmenté ses dépenses militaires, les ministères de la défense sont considérablement affectés par le contexte financier et économique défavorable. Les ambitions nationales dépassent bien souvent le niveau des recettes et les gouvernements sont contraints de rationaliser les effectifs.

En France et au Royaume-Uni, pays qui détiennent les plus grosses industries militaires en Europe, les chiffres sont spectaculaires. En France, les réformes engagées pour créer une armée de métier ont engendré des coûts élevés que le ministère prévoit de financer par la suppression d'environ 55 000 emplois au sein du ministère de la Défense entre 2009 et 2015, pour un total de 260 000 militaires au lieu de 296 493 en 2011. Le budget a été amputé de 58,7 milliards de dollars en 2012 (environ 43 milliards d'euros) et sera réduit à 31,4 milliards d'euros pour 2014, soit 1,5% du PIB. En comparaison, en 2009, les dépenses en défense représentaient 2,5% du PIB. Outre-Manche, la réduction de 15 % du personnel entre 2011 et 2012 pour un effectif total de 233 300 personnes au final devrait peser encore plus sur les capacités militaires du pays. En effet, l'armée britannique est orientée vers les déploiements et est peu encline à supporter ce genre de coupe drastique, contrairement à l'armée française, qui bénéficie d'un important effectif sur le territoire national.

Pour autant, la diminution des budgets militaires en Europe ne serait pas si alarmante si l'on en croit d'autres experts. La défense conserve une place privilégiée dans le budget des grandes armées historiques comme le Royaume-Uni qui consacre 10 % de ses dépenses totales à la défense - alors que la moyenne européenne se situe autour de 7 % - et la France qui en fait le deuxième poste budgétaire de l’État. De plus, les programmes de coopération en cours sont désormais protégés des coupes budgétaires par le Code de conduite adopté le 19 novembre 2012 par l'Agence Européenne de Défenses (AED) sur le partage et la mutualisation capacitaire.

La coopération : une meilleure utilisation des ressources pour contourner la crise

En outre, la réduction des moyens financiers ne suffit pas à elle seule à mettre en péril les capacités opérationnelles des armées européennes. “Il n'existe pas, de manière générale, de relation linéaire entre les dépenses et la capacité. Cette capacité dépendra aussi de la manière dont l'argent est utilisé”, avance Elizabeth Sköns, ancienne directrice du programme "Dépenses militaires et production d'armes".

Si les États européens souhaitent maintenir, à défaut d'améliorer, un niveau de protection satisfaisant, ils ne sauraient se permettre de se laisser aller à l'isolationnisme. Puisque l'heure est à l'austérité, la coopération à plusieurs, et non plus bilatérale, apparaît aux yeux de nombreux experts comme la voix de la raison. Facilitée par le Traité de Lisbonne, elle permet de réaliser des économies d'échelle en répartissant les coûts d'investissements sur tout le territoire de l'UE tout en maintenant à un niveau élevé l'investissement militaire. En ce sens, l'AED soutient les programmes de ravitaillement en vol, de formation des pilotes d'hélicoptères ou encore d'entraînement maritime. Ils restent bien modestes et sont loin de pallier à la totalité des besoins capacitaires.

 

 

Une meilleure coordination des besoins éviterait également de dupliquer inutilement les dépenses nationales dans d'autres pays comme c'est le cas actuellement. Il existe ainsi 11 fournisseurs de frégates en Europe et 23 versions différentes de l'hélicoptère européen de transport NH90 ont été réalisées ! Les gouvernements européens se passeraient bien de cette multiplication des dépenses. D'autant que les contraintes budgétaires ont déjà pesé sur l'efficacité des opérations sur le terrain. On se souvient des difficultés rencontrées par les Européens pour mener à bien les missions de ravitaillement en vol en Libye avec seulement 42 avions, frêle escadrille à côté de l'armada américaine. Les armées européennes ont également cruellement manqué de drones ou de bombes de précision sur le terrain.

Le Conseil européen des 19 et 20 décembre derniers est la marque d'une prise de conscience timide qui ouvre la voie vers une coopération européenne balbutiante. Des projets tels que le développement de drones, de satellites de communication et la coopération en matière de cybersécurité seront engagés dans les années à venir et coordonnés par l'Agence Européenne de Défense. Ces projets, tous de petite envergure, sont néanmoins échelonnés dans des délais longs (parfois jusqu'à 2025) et un cadre juridique imprécis (quels crédits ? Quels États membres?) et le rôle à jouer par l'OTAN reste à définir.

La Crise, ce joli prétexte pour éluder la question de la défense européenne

Ainsi, malgré des déclarations publiques plutôt favorables à la coopération, Royaume-Uni mis à part, les États membres se montrent frileux pour débloquer des crédits à destination de l'Agence Européenne de Défense et, en dehors de quelques programmes, privilégient la maintenance et la logistique à l'échelle nationale. En outre, l'OTAN, largement dominé par les États-Unis qui fournissent la quasi totalité des apports, concentre la grande majorité des budgets nationaux de la défense et certains programmes encouragés par l'Agence font doublon avec des actions de l'Alliance Atlantique. On pressent la réticence des États à éparpiller les dépenses. A ce rythme, les aspirations de l'AED de devenir le moteur de la défense en Europe resteront lettre morte encore longtemps.

Par ailleurs, une réelle mutualisation des capacités implique que les États acceptent de détenir des navires, des flottes en commun et de compter sur d'autres États pour la fourniture de certains équipements. Or, les dirigeants européens sont encore bien trop divisés sur la question pour pouvoir envisager une véritable stratégie globale et les orgueils nationaux prennent largement le dessus sur les négociations. Comment concilier l'atlantisme polonais avec la neutralité de la Suède, non membre de l'OTAN, ou encore le volontarisme français avec l'opposition inconditionnelle du Royaume-Uni à l'Europe de la défense ?

Pourtant, les menaces extérieures sont réelles et l'idée selon laquelle les États-Unis seront toujours présents pour apporter le soutien matériel nécessaire n'est pas raisonnable. En 2012, six États membres dépensent moins de 1 % de leur PIB pour la défense : Irlande, Lettonie, Luxembourg, Malte, Espagne, Hongrie alors que la quasi totalité de l'industrie militaire européenne se concentre sur 6 pays : Le Royaume-Uni et la France en tête, respectivement 4e et 6e au rang mondial, suivis par l'Allemagne (9e rang mondial), l'Italie (10e rang mondial), l'Espagne et la Suède.

Conclusions

Les coupes budgétaires ont certes affecté les capacités militaires des États européens mais la situation n'est pas insurmontable à condition de dépasser les clivages politiques qui ternissent systématiquement les débats sur la défense européenne. La crise, alibi imparable des discours politiques, ne saurait être une excuse universelle. Il reste à souhaiter que les dirigeants européens, qui veulent se rencontrer à nouveau l'an prochain, se montrent plus audacieux et prennent enfin les décisions qui leur donnent les moyens effectifs d'agir sur le terrain. Car pour continuer à jouer un rôle sur la scène internationale avec des moyens financiers limités, les États doivent accepter de développer une stratégie commune.

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Source photo: Wallet and some money on a wooden table, flickr


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